Natifs digitaux ou les nouveaux paroissiens numériques
Les technologies
numériques nous transforment.
C'est presque une banalité de l'affirmer.
Tout le monde en est conscient,
mais peu de personnes dans nos communautés
en tirent les conclusions.
Le dimanche matin
ou lors d'un autre événement,
le pasteur et tous ceux qui prennent la parole
se trouvent en face de personnes qui ont passé
environ 13 heures, durant leur semaine,
à interagir avec des produits numériques
tels que ordinateurs, consoles de jeux ou portables.
Et ne parlons pas de ceux qui passent
leur temps devant
un écran.
Dans les Eglises,
le culte classique est synonyme
d'espace dédié au silence,
autrement dit au respect de celui qui parle.
Nos communautés sont des écoles spirituelles,
avant d'être des lieux de rencontre
et un bon nombre de personnes
se lassent de nos réunions parce que leur cerveau,
à cause du numérique,
a appris à penser, à réagir,
à vivre d'une manière qui tranche
avec le passé.
Natifs et immigrés digitaux
Le natif digital ou
l’autochtone du monde numérique,
c'est celui qui est tombé dans la marmite
comme ma petite-fille, par exemple,
qui, à l'âge de quatre ans, utilise mieux
les supports numériques que certains quadragénaires.
Sa génération et celle de ses parents
a grandi avec ces technologies et ils sont « nés »
sur ce territoire des octets et autres pixels.
Tandis que nous, la vieille génération,
et parfois hélas, des plus jeunes,
nous sommes des immigrés.
Nous avons dû
apprendre une autre « langue »,
une nouvelle manière de socialisation,
de nouvelles manières de transmettre des messages.
Or, ce qui se passe c'est qu'on nous repère
très vite comme immigrés,
comme le Portugais de l'époque.
Le drame, c'est que nos Eglises
sont remplies d'immigrés qui veulent apprendre
aux natifs comment « parler » correctement.
Alors que c'est eux qui devraient nous enseigner
comment parler et communiquer
dans notre monde actuel.
On fustige les communautés qui fonctionnent
pour et avec les « natifs » et qui laissent les « immigrés »
sur le banc de touche, mais c'est le juste
retour des choses.
Le profil du natif
Le numérique utilise
d'autres zones du cerveau que la culture
du livre et de l'école (du passé).
Par ricochet, ce cerveau développe
des compétences différentes en matière de raisonnement,
de captation et de traitement de la réalité.
Le natif n'est performant
que s'il est connecté à un réseau.
C'est-à-dire s'il est en contact
avec une communauté qui interagit.
Vous le déconnectez,
il est amorphe et sa capacité de se concentrer
est réduite au minimum.
Première constatation: si vous voulez intéresser
un natif à votre culte, travaillez en réseau,
pas forcément d'une manière électronique,
mais faites-le participer
comme s'il était en phase avec
d'autres « utilisateurs ».
Jésus se faisait interrompre dans ses « messages »,
prendre à partie.
Il organisait des hapennings communautaires
comme la multiplication des pains
. Le natif est un être multitâche.
Il peut écouter de la musique,
se concentrer sur un problème de maths,
chatter avec ses copains sur le net...
et tout cela en simultané.
L'immigré fait une chose après l'autre
d'une manière rigoureuse.
Il pense que, parce qu'il a appris à chatter
, parce qu'il a appris à écouter de la musique
avec son Ipod, il comprend
la jeune génération.
Non, il ne sait pas faire les choses
en même temps et ça ne s'apprend pas
avec un cours théorique, c'est lié
à une pratique constante,
depuis tout petit.
Le natif fonctionne à l'instantané
et il a besoin d'avoir du plaisir sur le champ,
tandis que l'immigré est capable
d'attendre comme le chien savant à qui
le dresseur remet une sucrerie
après avoir exécuté ses numéros.
Le natif préfère le visuel au textuel,
la parabole ou l'analogie à l'analyse
ou à la systématique, et l'interactivité
au travail solitaire
. Petite question: est-ce qu'un natif
est prêt à lire sa Bible pendant un an
chapitre après chapitre, d'une manière systématique?
Non ! Et ce n'est pas par manque de spiritualité,
mais par inadaptation culturelle
aux standards fabriqués dans le passé.
Beaucoup de conflits
et de frustrations dans nos communautés
sont dus à des problèmes culturels
et non à des questions spirituelles.
A mon sens, certains pasteurs
quittent actuellement leur ministère par fatigue.
Ils n'ont pas été formés pour la tâche actuelle
et ne se retrouvent plus.
Les standards qu'on leur a inculqués
n'ont plus cours dans la société numérique.
Quand nos instituts de formation
se réveilleront-ils? Quand il
sera trop tard?
Henri Bacher
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