Dans le Nouveau Testament,
on appelle pratiquants ceux ou celles qui «confessent le Nom»,
se rassemblant au nom du Christ pour goûter ensemble
à une vie relationnelle
« la plus grande »
possible avec Dieu, avec les autres, avec soi-même
- vie quasiment céleste,
«royaume des cieux » sur la terre,
qui pour le Christ se tenait à portée
de quiconque voulait bien se mettre en marche
vers le Père
Aujourd’hui, pour quoi aller au culte sinon pour accéder à une telle
qualité de vie ou pour la retrouver ?
Et pour quoi animer des célébrations sinon pour ouvrir un espace
et un temps favorables à une
telle qualité de vie ?
Selon les évangiles,
la mission de Jésus lui-même
impliquait une mise en marche personnelle:
«II parcourait toutes les villes et les villages»
toujours en mouvement vers ces autres dont il percevait la douleur cachée.
C’est lui qui se déplaçait, enseignant
«dans leurs synagogues »,
dans le cadre institutionnel de sa religion,
attentif seulement à leur soif de vie authentique
«proclamant la bonne nouvelle» d’une telle vie et «guérissant»
tout ce qu’il y avait à guérir
Cette juste distance avec les êtres lui permettait
de se laisser atteindre jusque dans ses «entrailles» profondes
parce que, précise Matthieu seul,
ces foules étaient, littéralement,
«tourmentées et écorchées comme des brebis
qui n’ont pas de berger».
Est-ce un hasard si, un peu plus loin,
Matthieu est le seul à mettre sur les lèvres de Jésus
une invitation qui s’adresse à tous,
en écho à un ministère de guérison de toute maladie
et de toute infirmité (9:35) :
« Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés et moi
je vous donnerai le repos»11:28
La compassion a décuplé en Jésus la perception de la douleur
de tout être humain, et l’injonction qui suit va dans le même sens :
« Mettez-vous à mon école ! »,
vous tous qui êtes fatigués et chargés,
et non seulement quelques personnes mal en point!
L’Église primitive a très bien entendu l’invitation et la promesse :
« et vous trouverez le repos de vos êtres » (v. 29)
En appelant le Christ «mon repos», les premiers chrétiens évoquaient
leur expérience de résolution
de la plainte dans la personne compatissante
de leur Seigneur
Avant même que la plainte
parvienne aux lèvres des personnes souffrantes,
Jésus les invite à venir déposer
ce qui leur pèse
en s’avouant de ce fait «fatiguées et chargées».
Sont accueillis ceux et celles qui, renonçant aux injonctions du type
« il y en a de plus malheureux que moi »
ou «je n’ai pas le droit de me plaindre»
se reconnaissent incapables
de trouver une issue.
La parole du Christ indique sans doute,
indirectement, que nous avons besoin d’une permission divine
pour oser déposer ce qui est trop lourd.
Quand nous nous assemblons au nom du Christ
pour célébrer,
nous reconnaissons notre droit
d’être nous-mêmes devant Dieu tels que nous sommes
droit donné par Jésus lui-même
de nous tenir en présence de Dieu en son nom
Cela implique le droit de nous plaindre
de notre vie personnelle, des coups durs, des injustices et des trahisons ;
le droit de nous plaindre de la vie,
des autres,
de leur hostilité, de leur indifférence, de leur malveillance ;
le droit de nous plaindre de nos propres manques d’amour,
de notre absence de discernement, de notre propension au jugement,
des blessures imposées à autrui et à nous-mêmes,
ou de l’ignorance du mal que nous commettons dans la mesure
où notre volonté n’a aucune prise
sur tous ces fardeaux.
Confession bien trop personnelle,
objectera-t-on ! En quoi la communauté ecclésiale
est-elle concernée ?
Paroles et gestes liturgiques thérapeutiques
Quelle confession exprimera-t-elle que l’assemblée entière
est «fatiguée et chargée » ?
Une confession qui prend en compte une plainte individuelle
inextricablement liée à la plainte de notre société occidentale.
Nous confessons être «fatigués et chargés»
Notre génération se reconnaîtra «fatiguée et chargée»
de sa «pédagogie noire», en particulier des séquelles
d’une éducation religieuse mortifère.
Notre Occident s’avouera «fatigué et chargé»
de sa consommation sans limite de biens
(de dépenser pour ne rien posséder)
et de mots
(de parler pour ne rien dire).
Nous confesserons avec notre Église être
«fatigués et chargés»
d’un passé de violence et de compromission,
mais aussi du souvenir de tous ceux et celles qui l’ont quittée,
ne trouvant plus où étancher
leur soif.
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