Quand
on est « ému aux entrailles »,
on « voit » autrui avec d’autres yeux,
dans sa vulnérabilité, hors de
toute menace
Il peut
paraître étonnant
que dans les évangiles,
Jésus seul soit « ému aux entrailles »,
comme s’il fallait souligner l’origine divine
d’une telle expérience : il ne s’agit pas du simple
élan d’un coeur sensible, mais de quelque
chose de beaucoup plus inattendu.
On pourrait en parler
comme d’une déchirure
qui « élargit le
coeur »
L’Adôn de ce serviteur
est pris aux entrailles; il le délie et lui
remet sa dette.
Mt 18,27
C'est une
communion inexplicable
dans la vulnérabilité, même lorsque l’autre
n’en sait rien… et c’est comme un
accomplissement
de tout
l’être,
la brusque éclosion
de ce que l’on a de meilleur
au fond de soi.Le plus souvent,
« voir » et « être ému aux entrailles » sont simultanés :
c’est comme si la perception intime
d’autrui réveillait le plus
intime de soi-même.
Si Jésus
a raconté trois
paraboles où quelqu’un
est « ému aux entrailles », n’est-ce pas
qu’à ses yeux cette expérience
est à la portée de tout
être humain ?
La
voie passive
semble induire qu’on
n’y peut rien —
c’est donné
ou non
En effet,
là où nous faisons
de la place en nous pour autrui,
nous faisons de la place
pour Dieu.
Dans
la Bible hébraïque,
le sens du verbe [’ahav], aimer,
est illustré par des verbes synonymes qui désignent
des gestes concrets
« s’attacher à »,
« se lier à »,
« courir après »,
« suivre », « chercher »
. Mais » ’ahav « n’est jamais mis
en parallèle avec le verbe « raham »
« être ému aux entrailles».
La compassion
est donc
bien une expérience
unique en son genre , une é-motion,
au sens étymologique : une intervention
d’origine divine qui nous meut-hors
de nous-mêmes...
vers
une
dimension
inattendue
Un tel bouleversement
est capable de générer des actes aimants,
mais lui même n’est pas
un comportement
volontaire.
Devenir le prochain
Une
parabole
où un humain est « ému aux entrailles »
est introduite par une question posée à Jésus
par un docteur de la loi
« qui est mon prochain ? »
on dirait que
Jésus
entend la détresse
de celui qui, ayant peur
de la proximité, est incapable de s’ouvrir aux autres.
La question révèle son problème
la difficulté à se
laisser
approcher et à approcher
autrui pour communiquer en profondeur.
Afin de l’aider à « devenir le prochain »
d’autrui, Jésus change de
registre en racontant
une parabole.
En effet,
ce n’est pas à coup
d’arguments qu’on entraîne autrui
à vivre la compassion!
Or, juste
avant ce dialogue
Jésus venait d’ « exulter de joie dans le
souffle saint » à cause de ces « tout-petits »
qui « voient » ce que les savants
et intelligents ne
voient pas :
« Heureux
les yeux qui voient
ce que vous voyez ! »,
avait-il affirmé
21-24
Et
voilà qu’il se met
à raconter l’histoire d’un
Samaritain , un « tout-petit » qui est
« heureux », car il « voit » ce que les autres
ne voient pas ! Que voit-il ?
Un homme victime de bandits,
gisant « à moitié mort »
dans le fossé.
Alors
que les deux
premiers passants, un prêtre et
un lévite, « voient et vont contre-à côté
le Samaritain « faisant route vient près du blessé,
puis « voit, est ému aux entrailles
et s’approche-
tout contre »
Qu’a-t-il vu
que les autres n’ont pas vu ?
Et pourquoi s’approche-t-il deux fois ?
On peut penser qu’étant lui-même en contact
avec sa part blessée et exclue, il a pu se laisser affecter
par le dénuement et l’exclusion
d’un autre
. Emu
aux entrailles,
il s’approche davantage…
Si la proximité avec le blessé ne lui pose
pas un problème, c’est peut-être parce
qu’il connaît la douleur du rejet
( il est haï des juifs )
et de l’injustice de
l’intérieur :
on laisse entrer
autrui dans ses entrailles quand
on n’a pas grand-chose à perdre, ayant suffisamment
assumé son propre dénuement pour que
le dénuement d’autrui ne soit
plus menaçant.
Le Samaritain
est en lien avec l’autre,
arrêté dans son voyage, ses objectifs,
son activisme. Seule mention dans tout le Nouveau
Testament, « à demi-mort » dit beaucoup
de la communication d’être à être
qui se joue dans la
compassion :
en se
trouvant relié
dans une extrême profondeur
à un homme « à demi-mort », leSamaritain est pour
ainsi dire ramené à sa propre vulnérabilité,
à cette existence « à demi-morte»
qui est le propre d’une
condition
humaine
toujours en
deçà de son potentiel de Vie !
On ne redoute plus la proximité, on
« devient le prochain » d’autrui avec tous les gestes
concrets qui en découlent quand on développe
sa sensibilité à tout ce qui,dans son
être profond, est encore
« à demi-mort ».
Devenir
le prochain est un chemin
d’humanisation qui s’offre à chacune
qui est « innée » et « fait partie de la
constitution de tout être
humain
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