On le
sait par expérience,
être en contact avec sa propre
souffrance permet d’entrer en résonance
avec celle d’autrui : rien de tel pour s’ouvrir à la
compassion ! C’est la démarche inverse qui
semble poser problème : devant
des souffrances en aussi
grand nombre,
« il faut
se protéger »,
entend-on de tous côtés.
Mais se protéger de quoi ? De qui ?
Pourquoi serait-il dangereux de s’exposer à la souffrance
d’autrui ? C’est qu’elle risque de nous mettre
en contact avec notre
propre
souffrance
que nous
ne
sommes
pas encore prêts à aborder.
La détresse d’autrui
menace de
réveiller
en
nous une détresse
qui nous appartient et qui
nous déborderait. C’est donc de nous-mêmes
qu’en définitive nous nous
protégeons.
L’auto-contrainte induite
par le « il faut »
indique bien
que,
spontanément,
nous ne le ferions pas :
nous nous laisserions toucher par autrui.
Nous voilà d’entrée de jeu accrochés
par le cum de compassion, le avec du
pâtir-avec(latin cum-passio)
qui évoque
une
réciprocité
involontaire, un mystérieux
va-et-vient, une sorte d’osmose,
un « être-affecté ensemble » contre lequel
on essaie parfois de se prémunir. Il ne
s’agit pas là de la pitié qui à
l’origine est de la même
racine que la piété
(latin pietas)
et concerne
avant
tout les actes
entrepris pour
soulager autrui
Il ne s’agit pas non plus de la
charité, qui désigne l’amour du prochain
en général, ni de la miséricorde —
avoir le coeur (cor)
sensible à la
pitié
Et il ne s’agit pas,
enfin, de l’empathie (grec en-patheia,
sentir dedans) ou capacité à percevoir
l’expérience subjective
d’une autre
personne
La
« compassion »
désigne donc cette expérience
très subjective où l’on sent ou souffre avec
autrui et non à sa place en se projetant sur lui.
Notre réflexion s’enracinera dans la
compréhension évangélique
de la compassion.
Les évangiles
ne nous parlent pas de « la
compassion », mais utilisent systématiquement
un verbe — « être ému aux entrailles » :
c’est donc toujours quelque
chose de dynamique,
qui bouge
et fait bouger.
Notons également
que ce verbe est toujours au passif :
on est pris aux entrailles par… Par autrui souffrant,
par la situation de détresse dans
laquelle on se trouve
impliqué,
mais surtout…
par Celui qui donne à vivre une
telle expérience, se tenant invisible, comme
en retrait, et qu’on s’abstient de
nommer par respect
du mystère.
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