Le
piège, c’est
que l’ascèse vienne
se loger dans la douleur
de l'amour. Chemin des mortifications
frénétiques, de destruction qui
témoignera, pense-t-on, de
l'intensité de
l’amour.
Si
je me
crucifie, ne suis
je pas proche du crucifié ?
Mais i1 ne s'est pas crucifié lui-même,
il s'est offert à la folie des hommes pour que
Dieu passe jusqu'en cet abîme et
que rien ne soit en dehors
de son amour. Et qu'est
ce que cet éloge
de la maladie
qui a
circulé
parmi les
chrétiens ? Quand
Jésus voit un malade,
il ne lui prêche pas la croix,
il le guérit. Est-ce que l’imitation
de Jésus Christ s'arrêterait au seuil de
sa grande bonté ? Et si nous ne pouvons
guérir comme lui, tâchons du
moins de garder son esprit.
Condamnerons
nous
l'ascèse?
Ce serait bien sot.
Car Jésus a aussi jeûné.
Mais pour l'homme de l'Évangile,
l'ascèse n'est pas première, elle n'est
même pas essentielle.
La modernité,
si éprise
de
liberté,
si fortement insurgée
contre les perversions de la
tradition, serait aussi, selon Michel
Foucault, l'âge de la discipline. C'est au XVIIIe
siècle que paraît l’automate, figure de
l'homme enfin totalement
produit ; et que
Frédéric Il
transforme
ses
soldats
prussiens en
automates militaires ;
Mouvements réglés, tous
ensemble, parfaite conformité.
Le temps est celui de l’horloge.
Il nous faut des soldats, des ouvriers,
des citoyens utiles.
C’est au XVIIIe
siècle
que
Kant sauve,
pense-t-il, la conscience
morale des désastres métaphysiques :
«tu dois »,l'impératif catégorique, est le
commencement, le premier mot de l'esprit en nous.
Aucun rapport entre la hauteur morale
de Kant et les procédures
disciplinaires ?
Les
deux
peuvent
se
joindre pour
produire concrètement
l'homme convenable, l'homme
en règle, l'homme en paix avec lui-même
et adapté avec justesse à l'exigence sociale.
Dedans, le sens du devoir, le grand
« il faut» qui précède tout,
qui mènera le paysan
ou l'ouvrier aux
tranchées
de la
Grande guerre,
qui tiendra les humiliés
et les écrasés dans le respect des
lois, et les époux mal joints dans la stricte
observance des apparences de l’amour.
Dehors, les législations, règles et
règlements, les procédures,
les bonnes manières,
les choses à
dire et à
faire ,
tout
le
savoir qui
préserve l’homme
ou la femme de cette chose
horrible : la perplexité, l'imprévu,
le non-prescrit, la nécessité de la clarté du cœur.
Un certain christianisme traditionnel
s'arrange au mieux de cette
modernité-là.
Il s'y
retrouve,
et pour cause :
il en vient. Il y a ainsi
un traditionalisme qui n'est point
du tout la tradition chrétienne,
la grande obéissance à l'Esprit (c'est liberté)
mais qui est l'attachement féroce
aux traditions des hommes,
badigeonnées de
christianisme.
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