Quand
Boaz et Ruth
se marient, l'assemblée
bénit l'épousée en ces termes
: "Que ta maison soit comme la maison
de Peretz que Tamar enfanta à Juda" (Ruth 4:12).
On peut se demander pourquoi c'est cette
bénédiction qui est dite ici.
Il est vrai que Peretz est
l'ancêtre de Boaz,
mais la relation
est plus
fondamentale.
L'histoire de Tamar
et de Juda se trouve au
chapitre 38 de laGenèse : Tamar
épouse le fils de Juda, Er, qui meurt peu après :
Selon la loi du lévirat, elle s'unit alors à son frère Onân
qui meurt lui aussi. Tamar attend donc
que le troisième fils de Juda
grandisse pour pouvoir
se marier avec lui
, mais il
a
peur
de lui céder
son dernier enfant :
"Demeure veuve dans la
maison de ton père jusqu'à ce que
mon fils Chêla soit plus grand".
Car il craignait qu'il ne
mourut, lui aussi,
comme ses
frères"
Ge38:11
Tamar,
voyant par la
suite que Chêla a grandi
mais que Juda n'a pas l'intention
de les marier, se déguise en prostituée et
a des relations conjugales avec Juda, sans que celui-ci
devine son identité. De cette union naissent Zérah et
Peretz, Peretz qui sera l'ancêtre de Boaz
et donc de David.Le problème
que doit affronter Juda est
celui de la fatalité :
Tamar est
pour
lui
l'incarnation
d'un destin maléfique,
elle a "tué" ses deux fils, le
sort s'acharne contre elle. Mais
celle-ci veut lui prouver que c'est faux,
qu'en fait Er et Onân sont morts du fait de leur
inconduite et que la fatalité aveugle n'existe pas,
mais qu'il faut considérer la vie et l'histoire
dans l'optique de l'intentionalité, même
si nous ne savons pas laquelle. Elle
s'unit à lui justement pour
prouver qu'elle n'est
pas une femme
maudite,
que
non seulement
elle ne tue pas ses maris
, mais qu'elle peut avoir des enfants,
qu'elle ne constitue pas un arrêt de mort,
mais qu'elle est la continuation de la vie. Et
effectivement elle donne naissance
à deux fils dont l'un est Peretz,
ancêtre de David, et par
cela même du
Messie à
venir.
Il
en est
de même pour
Ruth : Noémie perd
l'un après l'autre son mari
et ses deux fils ; elle n'a plus d'espoir
"Je suis trop âgée pour être à un époux" Ruth 1:12
dit-elle. En plus de quoi, il faut remarquer
que le mot "mar" ("amer")
revient souvent dans
ses propos :
"Non mes
filles,
car j'en
aurais beaucoup
d'amertume pour vous"
Ruth 1:13
Le
sentiment
de la fatalité,
de l'acharnement du
destin, la prend à la gorge.
Mais Ruth se soulève contre
cette interprétation fataliste de l'histoire
à l'échelle individuelle ou générale, et elle ajoute :
"là où tu mourras, je veux mourir aussi et y
être enterrée. Que l'Eternel m'en fasse
autant et plus si jamais je me
sépare de toi autrement
que par la mort !"
Ruth1:17
. Il ne
s'agit
pas
simplement
du moment où la
mort nous sépare, mais
plus profondément, c'est l'idée
de mort qui nous sépare : sans rien
enlever au tragique de la mort, Ruth la conçoit
comme un achèvement, et non pas
comme une force aveugle
et maléfique.
Noémie
est
sceptique,
elle veut changer
de nom : "Ne m'appelez plus
Noémie (l'agréable), appelez-moi
Mara (l'amère) car Shadaï (un des noms de Dieu)
m'a abreuvée d'amertume" (Ruth 1:20).
L'amertume règne, mais déjà ici
l'évocation du nom Shadaï,
pose une certaine
limite
au
désespoir
. Or on a remarqué que
Shadaï peut se lire "She-daïï",
qui signifie "c'est assez" . C'est assez
d'amertume, ce qui annoncerait
le retournement de la
situation.
L'idée
mûrit
et
se développe
en Noémie, et quand
Ruth lui dit que Boaz lui permet
de glaner dans ses champs, elle répond :
"Béni soit-il par l'Eternel, puisqu'il n'a cessé
d'être bon pour les vivants et
pour les morts !"
Ruth 2:20
Le nom
de
Dieu est
ici celui de la
miséricorde, qui ne
délaisse ni les vivants ni
les morts, ceux qu'elle croyait
morts pour rien, aveuglément, deviennent
des morts que Dieu ne délaisse pas
. Quand Ruth donne finalement
naissance à Obed,
elle en est bien
la
mère
biologique,
mais cet enfant
est doté en premier lieu
d'une importance pour Noémie :
"Et les voisines désignèrent l'enfant en disant
: "Un fils est né à Noémie !" (Ruth 4:17).
Comme dans le cas de Tamar,
la fatalité de la mort est
dépassée par la vie
qui se
transmet
par l'enfant. A la
joie de la naissance s'ajoute
donc la joie du sens de la
naissance.
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