Bien interpréter la Bible,
c’est aussi très souvent accepter sa dimension paradoxale
. Depuis les bancs d’école, nous sommes habitués
au raisonnement logique en terme de cause à effet
et à l’expression linéaire de la pensée.
Ce type de raisonnement suppose
le principe de non-contradiction:
le noir ne peut être blanc et inversement
. Nous pouvons accepter des nuances intermédiaires
mais nous en arrivons toujours à l’exclusion de l’un par l’autre
. Dans notre vie, nous avons aussi appris
à raisonner ainsi et nous vivons notre foi de la même manière.
Si nous sommes convaincus que l’affirmation «A» est vraie,
alors seul ce «A» doit être pris en compte
et rien d’autre ne peut exister à côté.
Or la réalité est différente
et bien plus complexe que cela.
En effet, elle est souvent paradoxale.
Un paradoxe, ce sont deux principes ou deux éléments différents
voire contradictoires qui s’opposent
mais qui émanent de la même source
et servent le même but.
Ce qui sous-entend
qu’on ne peut éliminer ni l’un ni l’autre.
C’est le cas pour la trinité:
Dieu est un mais en même temps,
Dieu est trois personnes: le Père, le Fils et le Saint-Esprit.
Le chrétien devra être capable de regarder
ces deux vérités contradictoires sans exclure l’une des deux
ni choisir entre elles, puisque tout choix exclut alors
une partie de la réalité.
Ce système s’appelle la dialectique
ou plus simplement, la pensée paradoxale.
Le philosophe chrétien Jacques Ellul a développé cette pensée
au fil de son œuvre et notamment dans
Ce que je crois.
Il préfère parler de dialectique.
Ce terme, ajoute-t-il, vient de
dialogein, «parler avec»,
comme dans un dialogue, sachant que la préposition
dia porte également l’idée de distance
ou de contradiction.
Pour expliquer cette pensée paradoxale,
prenons une image simple:
si vous mettez une charge positive près d’une charge négative
, vous obtenez un éclair puissant.
Or c’est un nouveau phénomène qui n’exclut
ni le pôle négatif ni le pôle positif.
La pensée paradoxale permet de maintenir un non
en même temps qu’un oui.
Ce système de pensée vigoureux doit par conséquent être adopté
afin de prendre en compte les réalités
paradoxales de la Bible.
La pensée paradoxale est indispensable
à notre vie spirituelle pour comprendre la Bible.
Volontairement ou non,
l’homme est amené à penser et à s’exprimer de façon paradoxale.
Le paradoxe est le moyen de tenir compte du réel
sans s’amputer d’une bonne partie de nous-mêmes
ou de la révélation biblique.
La pensée paradoxale représente une dynamique créative permanente.
La prise en compte de la réalité par ce type
de logique dialectique
n’a donc rien à voir avec le fait d’être «tiède»
Apocalypse 3,16
Au contraire, c’est être bouillant dans la foi
que d’être capable d’intégrer des réalités bibliques paradoxales
sans renoncer ni à l’une ni à l’autre.
Exemples
Seule cette pensée dialectique
peut en effet rendre compte de la révélation scripturaire,
révélation elle-même fondamentalement et intrinsèquement paradoxale.
En effet, les auteurs bibliques ont formulé paradoxalement
l’ensemble de la révélation divine.
Les exemples sont nombreux.
- Grâce et œuvre
Paul déclare:
«Vous êtes sauvés par grâce, par le moyen de la foi.
Cela ne vient pas de nous, c’est un don.»
Cette affirmation est claire et simple.
Nous connaissons les développements immenses
de cette assertion, fondement de la Réforme et de notre foi chrétienne.
Mais le même Paul affirme également:
«Par conséquent, travaillez à votre salut
avec crainte et tremblement»:
Une évidente contradiction!
Si nous sommes sauvés par grâce,
il n’y a pas besoin de travailler à notre salut…
Cette contradiction se retrouve dans l’épître de Jacques:
«Nous sommes déclarés juste devant Dieu
à cause de nos actes,
et pas uniquement à cause de la foi.»
- Le royaume de Dieu est déjà là
mais il n’est pas encore là
Le Christ règne dès maintenant
, et comme il l’enseigne à ses disciples, «le royaume de Dieu est parmi vous».
Mais son royaume n’a pas non plus encore atteint
son plein épanouissement
qui ne se réalisera qu’avec son retour.
Nous sommes appelés à travailler «pour le royaume»
tout en sachant qu’il ne sera complètement réalisé qu’au retour du Christ.
Nous soupirons dans l’attente du royaume à venir,
bien que nous en ayons déjà les prémices.
La volonté de Dieu et celle de l’homme
Qui est capable d’influencer le cours des choses?
Quelle est la part entre la liberté humaine et la puissance divine?
Dieu est à la fois le Dieu des armées
mais il nous semble qu’il est parfois
aussi le Dieu désarmé.
Si Salomon rappelle que
«l’homme fait des projets, mais celui qui a le dernier mot
c’est l’Eternel»,
la Bible enseigne également la liberté de l’homme
dans ses actes et sa pleine responsabilité:
»Ce jour-là, il donnera à chacun ce que lui auront valu ses actes.»
- La nature de Jésus
Il était à la fois pleinement homme et pleinement Dieu.
Ainsi Paul, dans un même passage déclare:
«Lui qui, dès l’origine, était de condition divine,
ne chercha pas à profiter de l’égalité avec Dieu, mais […]
il se rendit semblable aux hommes
en tous points».
L’action de l’homme et
l’action du Saint-Esprit
La Bible exhorte souvent le chrétien à prier sans cesse
et à intercéder.
Mais Dieu peut également agir de son propre chef.
Notre part est de prier mais un miracle ou une conversion
ne sont pas vraiment liés à la quantité ou à la qualité de nos prières.
Comme dit le psalmiste:
«Il en donne autant à ses bien-aimés pendant qu’ils dorment»
. De même, Dieu nous invite dans sa Parole à témoigner,
mais il n’a pas besoin de nous pour agir.
Dans tous ces exemples, on voit bien qu’il y a souvent
autant de versets bibliques
pour les deux affirmations énoncées!
Prenons l’exemple de la question
de la foi et des œuvres:
La Bible enseigne que c’est par la foi que nous sommes sauvés
mais que sans les œuvres, notre foi est morte et qu’elle ne peut nous sauver.
Où se trouve la vérité?
Le point d’équilibre,
la vérité est toujours à trouver entre ces deux axes.
Elle n’est ni dans un axe ni dans l’autre ni dans la synthèse des deux.
Cela signifie que la vérité est existentielle et non essentielle:
elle est en mouvement et non figée.
Bien entendu, c’est notre finitude qui ne nous permet pas de saisir
la réalité parfaitement.
Pour Dieu, en Dieu, la vérité est certaine
. Mais pour nous les hommes, le point de vérité oscille entre deux axes.
C’est par la richesse issue de la confrontation
de ces affirmations paradoxales
que Dieu nous rejoint là où nous sommes, dans notre vécu,
sur notre chemin personnel de vie.
Ne s’en tenir qu’à un seul axe, ne retenir qu’une seule affirmation
dans ces paradoxes conduit à de graves erreurs.
Ce fut pourtant le cas souvent au cours de l’histoire de l’Eglise!
On est tenté, pour ne pas voir le paradoxe et sa dynamique,
de ne prendre et mettre en exergue que les versets qui vont confirmer l’axe
sur lequel nous nous plaçons et oublier les autres,
ce qui est cause de division dans l’Eglise et
d’incohérence pour nous-mêmes.
Le paradoxe apparaît comme un système de pensée inconfortable
mais qui laisse la vie se manifester dans toute sa force,
sans qu’elle soit prédéterminée.
Prendre en compte la dimension paradoxale de l’Ecriture
est un élément essentiel pour bien comprendre chaque texte isolément.
Reconnaissons qu’en dépit de nos efforts,
il arrive que notre connaissance reste partielle.
Et elle le restera jusqu’au jour où, comme Paul le déclare:
«Nous connaîtrons comme nous avons été connus».
Cependant, tout ce qui est nécessaire
à notre salut et à notre sanctification est
suffisamment limpide.
V . Duval poujol
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