« II y a
une seule chose
que Dieu lui-même ne sait pas faire [...]:
faire que les choses faites n’aient jamais été faites»
Dès lors, comment la foi chrétienne posera-t-elle
la question de la mé-moire blessée?
Il est clair qu’avoir souffert ne passe jamais,
car oublier son histoire reviendrait à perdre son identité -
et il avait peut-être fallu beaucoup de temps
pour retrouver les traces
de cette histoire de souffrance.
Mais est-ce là une calamité ?
Ne peut-on pas dire la même phrase sur un autre ton ?
Souffrir passe, la paix vient ou revient,
et elle transfigure à jamais la mémoire blessée.
Certes, « avoir souffert » demeure
mais c’est comme le souvenir de ce précieux Vendredi saint
sans lequel on n’aurait jamais consenti à sauter dans le vide
et connu les bras du Père...
Il y aurait lieu de se réjouir de ce que « avoir souffert» ne passe jamais !
Une fois la guérison survenue,
non seulement le souvenir de la maladie ne serait pas effacé,
mais il deviendrait, paradoxalement,
la part vive de la guérison !
Cependant, une telle expérience
suppose que « souffrir» ait réellement «passé».
Or, les assemblées chrétiennes
ne sont-elles pas largement constituées de personnes
dont la souffrance n’a pas passé,
dans les deux sens du terme :
à la fois elle est interminable et elle n’est pas accueillie favorablement,
ni par l’entourage ni par la communauté ecclésiale
elle ne « passe » pas, comme on le dit de certaines paroles
ou de certains comportements.
On peut même se demander si leur souffrance
n’est pas interminable
parce qu’elle n’est jamais accueillie favorablement,
dans les termes précis où elle
désirerait s’exprimer.
Si souffrir passe
dans l’exacte mesure où la plainte est entendue,
ne faut-il pas constater aujourd’hui la rareté des lieux
où elle peut se dire?
Peu de ministres offrent un accompagnement pastoral de ce type,
en dehors des hôpitaux, prisons, etc.;
l’entourage et la société continuent à valoriser
celui ou celle qui «ne se plaint jamais»;
l’assemblé cultuelle suit encore largement le schéma réformé
repentance-pardon sans donner d’attention à la mémoire blessée.
En outre, on peut parler d’une véritable dé-mission de l’Église,
ces dernières décennies,
quant à l’accueil pastoral et communautaire de la plainte :
ju-gée anormale, l’expression de la plainte provoque rapidement
le renvoi chez le «psy», et la liturgie dominicale
tend à rassembler exclusivement des personnes qui imposent silence
à leur mémoire blessée.
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