Dans la tradition
chrétienne, peu de figures bibliques
vétérotestamentaires ont frappé l’imaginaire
autant que celle d’Ève.
Étymologiquement,
son nom signifie « vie » en hébreu.
Comment expliquer
que ce nom ait pu devenir synonyme
de malheur et de mort?
Malgré son
apparente familiarité
, Ève s’avère fort méconnue.
La tradition chrétienne a caricaturé
grandement la « première » femme en lui attribuant
exagérément la responsabilité des malheurs
de l’humanité, à l’instar de
Pandore dans la culture
hellénistique.
Une lecture
culturellement
Populaire
Le récit populaire,
totalement tributaire de la doctrine
chute/rédemption se structure autour de trois
grands moments qui ne se fondent que
vaguement sur la Bible.
Dans le premier volet,
Dieu crée « Adam » puis découvrant
que ce dernier se morfond dans la solitude
il le fait sombrer dans une torpeur, retire une côte
et façonne « Ève ». Dans le second temps,
les deux personnes jouissent
de la félicité éternelle
dans le « paradis terrestre »
. Or, « Ève », à la suite d’une ruse
du serpent, consomme le fruit défendu,
en partage à « Adam ». Le couple se découvre « nu »
et comprend qu’il vient de commettre le péché
de désobéissance. Conséquemment,
Dieu les punit en les
chassant du
« paradis terrestre »,
en leur promettant toutefois
qu’un futur sauveur pourra restaurer
l’état primordial en portant le poids d’une
faute infinie, d’une « dette » incalculable envers Dieu
et en la « remboursant » par son sacrifice
expiatoire. Cela clôt le récit
dans un troisième
moment.
Quelques
éléments bibliques
Une telle interprétation
rend-elle justice au récit biblique
du second texte de création
Gn 2,4b-3,24
Lorsque
le passage biblique
est examiné de manière plus détaillée,
il apparaît que plusieurs éléments de la lecture
traditionnelle et populaire constituent de véritables
développements postérieurs étrangers au récit.
la notion de « paradis perdu »
n’apparaît pas aussi explicitement
que le laisserait présager
le mot « Éden »
(signifiant « délices »).
Cette lecture du texte
selon la grille chute/rédemption
s’appuie sur l’idée erronée que le récit
traite de deux personnes au sens contemporain
du terme, c’est-à-dire le « premier homme,
Adam » et « la première femme, Ève ».
Or, dans le texte deGn 2 : 4 à 22
l’expression est ’adam « le rouge « qui
évoque l’humanité dans
son ensemble
. Par la suite
ce « fond » commun de l’humanité
est divisé en mâle (ish) et femelle (ishah)
. Il n’y a donc pas d’identité personnelle,
mais simplement une dimension mâle et femelle
. Conséquemment, cette partie
indifférenciée a entretenu
un dialogue avec
le serpent.
Au sens strict
il ne s’agit pas d’Ève.
L’usage de noms propres
comme celui d’Adam n’est réellement certifié
qu’après la manducation du fruit
Gn 5 : 3 pour Adam et
Gn 3 : 20pour Ève.
D’ailleurs,
il importe de souligner
que le texte insiste sur la solidarité foncière
de l'être humain, entre homme et femme.
En effet, les yeux
des deux êtres, mâle et femelle,
s’ouvrirent en même temps après avoir chacun
consommé le fruit défendu.
Cela ne s’est donc
pas fait de manière séquentielle,
comme il est généralement admis dans la compréhension
traditionnelle du texte.
Conséquemment,
affirmer qu’Ève est responsable
des malheurs de l’humanité ne rend pas justice
au texte, mais représente une interprétation
bien postérieure qui reflète la vision
patriarcale des interprètes
(l’homme exerce un contrôle sur la femme)
que d’une compréhension androcentrique qui justifie
et normalise la prédominance du
caractère masculin.
Cela conduit
à enfermer les femmes dans
la « faute » selon le schéma chute/rédemption
et à légitimer le sexisme quotidien perçu
comme une « juste punition »!
La théologienne
Lytta Basset le résume bien :
En effet, le non-respect de la femme
dans le texte suffit à attester que le mal est là dès les origines,
indépendamment du drame du jardin.
Si la punition de la femme en 3,16
« et lui en toi dominera »
semble avoir un effet rétroactif sur le texte lui-même
,n’est-ce pas que l’auteur est incapable de parler
d’un monde où il est en soit autrement?
Nous avons défini le mal
comme ce qui fait mal.
Comment
une femme d’aujourd’hui,
expérimentant quotidiennement
un non-respect qui lui fait mal jusqu’au plus intime
de son être-créé, pourrait-elle voir en Gn 2-3
autre chose que ce à quoi
elle est bien habituée?
Ce jardin-là
n’a rien de plus paradisiaque que sa vie
de tous les jours.
°°°°
commentaires