21/
12 /2017
Ce
soir, il a
bien fallu deux
décis de Martini et
trois verres de Chianti pour
que j’ose – enfin ! – lui poser
« ma question ». La question qui me
taraude depuis cinq ans ; la question qui restait
en suspens ces cinq derniers Noël. C’était ce soir ou
jamais, je le sentais. Il fallait que je me lance…
Alors je me suis lancé, comme ça, direct,
en plein milieu de nulle part,
en plein milieu de
repas :
— Emilie,
comment as-tu
fait, il y a cinq ans,
pour me donner ton rein ?
On se connaissait si peu. Je
n’étais rien pour toi. Je n’avais
rien fait pour toi. Pourquoi as-tu fait ça ?
Silence autour de la table… Faut dire que ma
question n’avait aucun lien avec aucun des sujets de
conversation de la soirée ! Silence… de cette sorte
de silence où tout le monde se dit au fond :
— C’est bien que ça sorte ! C’est pas
du tout dans le cadre, mais c’est
bien que ça sorte. C’est
le bon moment, là.
Tout le monde
a senti, je
crois,
que cette
question, je la
portais en moi depuis
longtemps. Trop longtemps, même.
— Pourquoi as-tu fait ça ?C’est là que j’ai appris ;
pour elle, je veux dire. Emilie avait aussi subi une greffe.
Pas une greffe de rein, non ! « Une greffe de cœur », qu’elle
m’a dit. Une greffe d’amour. J’ai bien compris qu’en
parlant du cœur, elle ne parlait pas du muscle
qui bat la mesure de nos existences. Elle
parlait de cette partie tellement
précieuse de nos vies
qui sert à ressentir
l’amour, à le
recevoir
et à
le
redonner
plus loin. Cette
partie de sa vie tellement
meurtrie. Cette partie de nos vies
tellement malade.A cause de son histoire,
à cause de son enfance, ou à cause de la vie
tout simplement, le cœur d’Emilie avait été déficient,
clairement. Plus envie de battre… plus envie de vivre.
Plus capable d’aimer ni d’être aimée.— J’étais très
malade, Christian, m’a-t-elle dit dans un regard long.
— Ça durait depuis longtemps. Il me fallait un cœur
nouveau. Il me fallait un cœur guéri.
— Et tu as trouvé un donneur ?
dis-je, le verre de Chianti aux
lèvres et le sourire avec.
— J’ai cherché longtemps,
mais finalement,
oui…
— …
— On
a tous
besoin
d’un cœur
nouveau, Christian.
On a tous besoin d’un
cœur guéri, parce qu’on est
malade en amour. On a tellement
besoin d’être aimé, juste pour qui on est,
malgré qui on est, parfois. Juste aimés. En paix,
réconciliés. Tu me demandes si j’ai trouvé un donneur…
La réponse est oui. Un donneur qui ne me devait rien,
mais qui m’a tout donné quand même. Un donneur
qui s’est rendu compatible. 100% compatible.
Sans cette greffe d’amour, Christian, on
meurt.Jamais on n’avait eu une
conversation si profonde. Ni
avec elle, ni en famille,
ni à Noël. Ça nous
faisait du bien à
tous, je crois…
de parler
vrai.
De
parler foi.
Elle a continué
en me disant :— Noël,
c’est l’amour personnel et
infini de Dieu qui se rend compatible
aux humains. Pour que la greffe prenne.
Pour éviter le plus grand nombre de rejets
possible. Noël, c’est Dieu qui vient se faire Donneur,
en Jésus. Le cœur de Dieu dans un corps
d’homme. Son cœur à Lui dans notre
peau à nous. Pour qu’on se sache
aimés. Pour qu’on se sente
aimés. Pour voir la
naissance
d’une
humanité
guérie, une
humanité greffée.
Aimante et aimée…Ceux
qui me connaissent se seraient
attendus à une réponse sarcastique de
ma part… Mais là, l’envie me manquait.
Ce n’était pas le moment, pas le cadre.
— Cette greffe de cœur, cette
greffe d’amour, elle prend
à chaque fois que tu
ouvres ton cœur
au Donneur.
On a
arrêté
là notre discussion.
On a repris le cours de nos
conversations. N’empêche que cette
dernière phrase ne sort pas de ma tête.
Elle tourne en boucle. Elle s’entête… et bizarrement,
ça me fait du bien.La greffe de cœur,
elle prend à chaque fois que tu ouvres
ton cœur au Donneur.
Joyeux Noël !
Gilles Geiser
commentaires